Alphonse Desjardins
- Année: 1961
- Degré: 4
Alphonse Desjardins naquit à Lévis en 1854, issu d'une humble famille. Il fit ses études primaires à la paroisse Notre-Dame de Lévis et poursuivit ses études au Collège de Lévis où il suivit les cours de la classe d'affaires ainsi que les cours de latin.
À l'âge de 17 ans, il s'enrôla comme volontaire dans le dix-septième bataillon pour une expédition à la Rivière-Rouge, sous les ordres du lieutenant-colonel Casault. Promu au grade de sergent-major, il s'embarqua le 17 octobre 1871. À cette époque, l'aventure en valait la peine. Au jeune Desjardins, elle procura au moins l'expérience d'un long voyage en même-temps que l'avantage de suivre de près l'affaire Riel. Mais le plus beau de l'aventure consista à voir hors des murs, au-delà des fortifications de la Pointe-Lévy, plus loin que la Citadelle de Québec, et d'apprendre qu’il existait des Canadiens en dehors de la province de Québec. Cette expérience ne devait-elle pas imprimer à son civisme une tendance transcontinentale? Et d'ailleurs, ne se proclamait-il pas fervent de la Politique Nationale de John A. Macdonald?
Revenu à Lévis, le sergent-major Desjardins se fit journaliste à L'Écho de Lévis; plus tard, il passa à la rédaction du Canadien qui était alors la propriété de son frère, Louis-Georges Desjardins, et dont le rédacteur en chef était Israël Tarte.
Mais, dans le journalisme, Alphonse Desjardins ne se sentait pas établi à demeure. Il cherchait un emploi définitif, que des amis politiques allaient en quelque sorte créer pour lui, à la mesure de ses aptitudes et de ses goûts : la publication des débats de la Législature de Québec. L'entreprise qu’il allait diriger pendant onze ans était considérable, car elle lui imposait de résumer les débats, et non de les rapporter in extenso. Or, cette méthode de publication devait créer l'occasion d'un conflit entre le rapporteur dont on connaissait le penchant politique, et l’honorable Mercier, chef du gouvernement, qui lui demanda un jour de modifier la substance d'un reportage. C'était beaucoup demander au rapporteur qui n'était pas toujours souple dans ses procédés. Et surtout, il était imprudent de tenter de convaincre Monsieur Desjardins de partialité politique dans l'exercice d'une fonction officielle. Le sténographe pouvait affirmer au premier ministre qu'il avait dit ceci ou cela : en ce genre d'affaires, les scribes avaient beau argumenter, ils avaient toujours tort. L'inflexible Desjardins résista si bien que le premier ministre jugea opportun de lui couper tous subsides. Et ainsi se termina la publication des débats de la Législature de Québec.
Ce malentendu constitua pour Desjardins l'occasion de fonder à Lévis (avec l'aide de son frère député) un journal conservateur, L'Union Canadienne. On installa les bureaux et les ateliers de ce journal dans la maison qui fut plus tard occupée pendant plusieurs années par la Caisse populaire de Lévis, avenue Bégin. Alphonse Desjardins, éditeur-propriétaire, avait la responsabilité entière de la rédaction. Sauf dans le cas de collaboration occasionnelle de son frère, le député, il rédigea seul ce journal quotidien plus de trois mois, soit de juin à octobre 1891. Le journal portait un titre bien significatif, car l'union de tous les Canadiens dans un pays plus fort et plus prospère, tel était l'idéal de son éditeur. En exergue, la devise en complétait le sens : Franc et sans dol; avant tout, soyons Canadiens. Ce qui voulait dire, comme l'atteste la substance des articles : restons fidèles à notre vocation canadienne, sachons résister à la vague annexionniste.
Pour Desjardins, le journalisme était « l'expression sincère de convictions honnêtes ». En effet, l'honnêteté devait être chez lui le principe d'une certaine intransigeance et d'une rigidité envers ses adversaires. Chez lui, les opinions s’assimilaient aux convictions. Et ses confrères en journalisme n’ignoraient pas les dispositions d’Alphonse Desjardins... L'homme qui avait tenu tête au politicien et qui avait refusé comme rapporteur des débats de modifier le fonds d’un discours, pouvait manquer de souplesse, mais non de sincérité et de conviction. Il ne manquait certes pas de politesse, et on le reconnaissait facilement.
Mais Desjardins ne demeura pas assez longtemps dans le journalisme pour qu’on puisse juger de sa valeur. Quelle mesure aurait-il donnée pendant une longue période et dans des conditions de travail plus faciles? Rédacteur d’un quotidien dont il était l'éditeur et le propriétaire, attaché au service d'un parti, quelle part de son labeur dut-il consacrer au travail d'administration et aux démarches politiques? La tâche était exténuante pour un seul homme. Aussi bien dut-il l'abandonner. « Nous regrettons à avoir à annoncer à nos lecteurs que pour des raisons de santé nous nous voyons dans l’obligation de suspendre pour quelque temps la publication de notre journal. Le surcroît de travail que la publication d'une feuille quotidienne impose à son éditeur nous force à prendre cette détermination».
En réalité, l'Union canadienne disparut à jamais. Desjardins se retira donc du journalisme; et quelques années plus tard, le 8 avril 1892, il était nommé rapporteur officiel à la Chambre des Communes. C'était sans doute là une situation qu'il devait autant à ses talents qu’à ses succès d'éditeur des débats de l'Assemblée législative de Québec qu’aux sollicitudes du parti à son égard. Il occupa cet emploi pendant vingt-cinq ans, soit de 1892 à 1917. Il dut démissionner de son poste trois ans avant sa mort, pour raison de santé.
Voilà donc le résumé de la vie professionnelle du Commandeur Desjardins. On voit qu'elle fut empreinte du sens des responsabilités, de l'ambition de faire un travail soigné, exact et honnête. Mais cette partie de son œuvre ressemble à l’œuvre d’une quantité de bons canadiens.
Mais, c’est à cause de ses études particulières, de son milieu avec ses problèmes multiples et surtout au trait de génie qui lui fit découvrir une formule nouvelle et adaptée d'organisation populaire d'épargne et de crédit qui vaudra à Alphonse Desjardins l’immortalité.
Dès 1893, il travailla à l’élaboration d’un projet d'assurance-vie, comme des notes écrites de sa main l’attestent. En 1897, il conçut son projet de Caisse populaire et consacra dès lors tous ses loisirs à son élaboration.
Dès 1900, il rédigeait un projet de statuts et règlements de la Caisse Populaire de Lévis et le soumettait à un groupe de ses concitoyens. Comme il arrive toujours, un petit groupe devint ses fervents collaborateurs, parmi lesquels M. le curé de la paroisse Notre-Dame de Lévis, quelques prêtres du collège de Lévis, ainsi qu'un groupe de membres de la Société des Artisans de Lévis. Par ailleurs, il ne manqua pas lui non plus de détracteurs qui le voyaient comme un homme original consumé par un projet plus ou moins réaliste.
Et l'on sait le reste. La Caisse populaire de Lévis devint l'inspiratrice d'un développement considérable, sous la direction sage et éclairée du commandeur Desjardins qui sut, dès le départ, assurer à son œuvre de dévoués collaborateurs.
Bâtisseur réaliste, Desjardins comprît bientôt que sa nouvelle organisation devait avoir un statut juridique. En 1906, au mois d'avril, il réussit à faire adopter par la législature la loi des syndicats coopératifs, qui régit depuis ce temps non seulement les caisses populaires mais aussi toutes les coopératives du Québec autres que les coopératives agricoles, les coopératives d’électricité et les institutions coopératives ou mutuelles d’assurance.
Et pour couronner son œuvre, il travailla vers la fin de sa vie à l’élaboration de ce qu’il appelait lui-même le fédéralisme coopératif. « Depuis assez longtemps, a-t-il écrit dans son mémoire en date du 3 avril 1917, le projet de réunir les Caisses Populaires en un faisceau compact préoccupe mon esprit, et je crois que le temps est arrivé de réaliser ce projet ». Malheureusement, la maladie l'a empêché de réaliser un tel projet.
La raison principale des premiers succès de la caisse populaire, on la trouve dans le caractère même de son fondateur. Alphonse Desjardins croyait d’abord à l'initiative personnelle, en la confiance en soi-même, ainsi qu’à l'effort individuel pour réaliser des œuvres utiles. Ce principe du « self help » qui, comme vous le savez, est à la base de toute activité coopérative, sera le fondement de toute son œuvre.
Il fit montre aussi d'une vive intelligence. L'humble Desjardins, issu d’une famille modeste, réussit, à cause de sa vision, à transformer son idéal en une idée forte, et à faire de l'institution qu’il avait fondée en la ville de Lévis, un carrefour quasi universel.
En relation avec les plus grands penseurs d'Europe et d'Amérique, il réussit à les impressionner et à leur faire partager son point de vue sur l’organisation du crédit populaire. Son prestige dépassa rapidement les bornes du Canada pour atteindre le monde entier.
Son courage lui permit de mener à bien ce que sa vive intelligence lui avait fait concevoir. Son courage, qui lui donnait la force de vaincre les habitudes, et de vaincre aussi les barrières qui, comme il le disait lui-même, s’opposent aux novateurs, son courage lui fit déterminer que toute action coopérative devait être basée sur la connaissance et la modification de la mentalité égoïste de la population; ce même courage lui fera affronter allègrement les attaques de tous les adversaires commerçants, financiers mesquins, etc. qui voyaient en lui un illuminé ou un homme dangereux.
Sa ténacité, par ailleurs, fut à la hauteur de son courage. Dans la longue série de difficultés qu’il dut vaincre pour établir solidement son œuvre, le commandeur Desjardins ne flancha jamais. Il fut tenté à quelques reprises d'abandonner son projet. En une circonstance particulièrement pénible, son épouse, influencée par des amis plus charitables que clairvoyants, en vint à douter de la réussite de sa Caisse. Elle craignait que l'insuccès de la Caisse Populaire ait des conséquences désastreuses pour sa famille. M. et Mme Desjardins se rendirent chez le Cardinal Begin, leur ami et confident : M. Desjardins plaida la cause de sa Caisse Populaire et Mme Desjardins plaida celle de ses enfants. Mais, réconforté par Mgr Begin, alors archevêque de Québec, il continua la lutte avec une ténacité exemplaire.
Sa ténacité ne lui enleva pas, au contraire, le sens de la mesure et de la prudence. Cette prudence éclairée qui lui faisait voir nettement la nécessité de promouvoir d'abord l’éducation des futurs sociétaires avant de les lancer à l'action, est aujourd'hui pour tous les coopérateurs un exemple et un modèle.
C'est lui qui disait : « Pour que ce travail réussisse, il faudra en premier lieu conduire toute une campagne interne contre l'esprit d’isolement regrettable dont nos populations sont si profondément pénétrées. Cette propagande devra être conduite avec ténacité mais aussi avec prudence afin de ne pas blesser les susceptibilités, de ne rien brusquer, la persuasion étant l’arme par excellence qui assurera le triomphe final ».
Ce sont ces qualités qui sont à la base de l’œuvre magnifique qui s'accomplit dans le domaine de l’épargne et du crédit en Amérique du Nord par la formule coopérative et dont Alphonse Desjardins et sa Caisse populaire de Lévis ont été la pierre d'assise ainsi que les inspirateurs.
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